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Grues

Colosses aux pieds d’acier...


Syndrome d’une métropolisation vorace d’espace, de nouvelles figures incongrues sont apparues dans le paysage urbain, au point de faire partie intégrante de notre environnement quotidien.

Quels drôles d’oiseaux architecturaux que ces grues qui nous narguent de haut. Loin d’être monolithiques, le terme générique de « grues » s’institutionnalise à l’aube du XVe siècle. Néanmoins, les Hommes avaient depuis l’antiquité recours à des techniques mécanisées pour défier les lois de la gravité.


Des grues et des hommes


C’est à Aristote que revient la paternité d’une théorie mécanique, la Mékané, capable d’apporter des solutions aux contraintes imposées par la Nature. Vitruve, quant à lui, comprendra l’utilité de la mécanique dans l’architecture au point d’en faire une discipline à part entière permettant de décrire avec précision les principes de montage et l’agencement des ouvrages à travers de nombreux traités. Ces nouvelles techniques rivalisent d’originalité pour déplacer de lourdes charges avec plus d’agilité. Retrouvée principalement dans le travail de la pierre, la grue antique, aussi appelée « roue du carrier », est constituée d’un essieu et d’un grand tambour – ressemblant à s’y méprendre à une cage à hamster – dans lequel plusieurs personnes se déplacent pour actionner l’effet levier. Aqueducs, ponts, et cathédrales sont ainsi édifiés au cours du Moyen-Age, mais les guerres font rages et la nécessité de construire plus rapidement va inciter nombres d’ingénieurs à explorer d’autres sources d’énergies que l’ATP (Adénosine Triphosphate).

L’appariation de nouvelles forces motrices telles que la vapeur ou la fonte, ainsi que les moteurs électriques au cours de la Révolution Industrielle, va avoir un impact sur la morphologie des grues. Dotées désormais d’un mât métallique, les grues contemporaines à nos chantiers pourfendent le ciel et non sans zèle. (Pour connaître les secrets de la construction d’une grue de chantier, également appelé « grue à montage par éléments », cette vidéo a de quoi alimenter vos pauses café au boulot : https://youtu.be/f6O9qr57gl8)


Le ballet des grues


A l’en croire Sébastien Sémeril, le premier adjoint de Rennes, en charge de l’urbanisme, « le dynamisme économique d’une ville peut se mesurer au nombre de ses grues. »[1] D’autres métropoles comme Montpellier semble appliquer cet adage avec assiduité, au vu du nombre de projets immobiliers qui bourgeonnent à un rythme effréné. Le leitmotiv de densification est venu accentuer la concentration de ces structures métalliques au sein des tissus urbains existants. Nouveaux totems urbains que l’on aperçoit de loin, redessinant la Skyline de la ville, ce n’est pas moins d’une quarantaine de grues qui s’affairent pour donner forme à la ville de demain. Une valse a mille temps qui donne le tournis, et le bal n’est pas prêt de s’arrêter à minuit. Ces édifices aux lignes fines par leur hauteur et leur transparence préfigurent à l’émergence de nouvelles verticalités, habituant notre regard avant même que la dalle de béton ne soit coulée.

Incarnation du mythe de la tour de Babel, ces girouettes tournant au grès des vents spéculatifs sont tout à la fois source d’admiration que de sentiment d’oppression.


Brut de décoffrage


Figure de proue des chantiers, elles signalent aux citadins une perturbation dans le tissu urbain, une séquence de transformation sociale, économique et environnementale d’un espace. Cachés derrière une palissade, les rouages de cette mutation inachevée restent l’apanage du maitre d’œuvre et du maitre d’ouvrage, préférant traditionnellement dissimuler le processus de création urbanistique aux profanes.


Interdits au public pour des questions de sécurité, ces lieux générateurs de nuisances (bruit, va-et-vient des camions, gravats et poussière), les chantiers sont des lieux disqualifiés tant spatialement que socialement.

« Alors que les chantiers se multiplient et que leur durée s’allonge, l’acceptabilité sociale des travaux devient un enjeu des relations des élus municipaux à la population, car les nuisances qui lui sont infligées sont de moins en moins bien supportées. »

A l’aune des préoccupations croissantes pour les questions d’urbanisme dans le débat public, les chantiers deviennent un enjeu éminemment politique. Ainsi, certains acteurs publics, plus enclins à ouvrir une « fenêtre sur chantier » pour qu’ils soient davantage acceptés par les riverains, font alors appellent à des acteurs associatifs pour investir ces espaces traditionnellement contournés.

A ce titre, la Compagnie des rêves urbains en partenariat avec EuroMéditerrannée, propose depuis 2010 à des classes de primaire et de collège à Marseille, un cycle pédagogique d’ateliers pour suivre un chantier de leur quartier et mieux appréhender le rôle des différents acteurs de la fabrique urbaine. De même, sollicitée par la SPL Part-Dieu, l’association Nomade Land invite les riverains à découvrir au cours de promenades urbaines les différentes phases du projet de « réinvention » de ce quartier d’affaire lyonnais.

Abordé la ville sous un autre visage, non plus figée mais en perpétuel mouvement, rythmée par les partitions des chantiers, c’est aussi ce que nous invite à découvrir avec beaucoup d’humilité Fanny Tordon, dans son dernier documentaire « Quelque chose de grand ».




[1] http://www.lepoint.fr/villes/la-dynamique-des-grues-29-05-2014-1838025_27.php


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