top of page

Vieillissement


​​« O rage ! O désespoir ! O vieillesse ennemie ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie. » Voilà ce que pourrait proférer la plupart de nos aînés au regard du sort qui leur ai réservé dans nos sociétés...


Nulle intention en revanche de parler ici de crème anti-rides, mais bel et bien d’observer les multiples réalités socio-économiques qui commandent l’un des aspects dominants de l’aménagement de nos villes : celui de l’Homme valide[1]...



Consubstantiellement à l’allongement de l’espérance de vie (expliqué par les progrès de la médecine et l’amélioration des conditions de vies), le haut fonctionnaire français Pierre Laroque a l’idée, à l’orée de l’Etat Providence, de mettre en œuvre une distribution des allocations et des pensions par répartition. Le fondateur de la Sécurité sociale impulse de fait la création d’une caisse d’assurance vieillesse. La retraite s’appréhende alors comme un bel automne doré, les bénéficiaires libérés de l’asservissement d’un labeur exténuant... et à rallonge.


Dans la société actuelle, où le profit est roi, les retraités ne sont pas “rentables”. Les turbulences générées par l’essor d’une culture de l’instantanéité, et d’un travail de plus en plus échancré par des périodes d’inactivité, donnent la primauté à la valeur travail... Au détriment de la valeur sociale, laissant choir nos aînés sur le bas-côté de l’humanité. De fait, le rôle structurant des personnes âgées dans les communautés humaines (dépositaires de la mémoire collective, notamment) s’étiole, et personne ne s’affole…

Pourtant, à en croire le célèbre dicton, “Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle”. Il serait souhaitable d’éviter l’autodafé, n’est-ce pas ?


Loin d’être monolithique, le visage des personnes caractérisant les troisièmes et quatrièmes âges apparaît contrasté sur le territoire français. Les analystes estiment que d’ici 2035, les personnes de plus de 60 ans représenteront 31% de la population française (contre 21% en 2007), et que celles de 75 ans en représenteront 13,6% (8,5% en 2007). Pour tenter de mieux définir le corps social auquel appartiennent les seniors, il est important de rappeler un paramètre déterminant leur mode de vie :

« A l’aube du nouveau millénaire, 30% des plus de 65 ans habitent dans les villes-centres, 25% dans l’espace rural, et 40% en périurbain. Ces données corroborent le fait que « 60% des ménages de plus de 80 ans habitent dans des pavillons, et plus de 70% des ménages âgés de plus de 65 ans sont propriétaires de leur résidence principale. »[2]


Cela se traduit par une mobilité résidentielle relativement faible pour les personnes âgées qui souhaitent rester à leur domicile plutôt que d’être placées en maison spécialisée. Cela implique des aménagements nécessaires au sein du logement pour répondre aux besoins inhérents de l’évolution de leur condition physique et psychique.


Longtemps focalisé sur la santé (physique) comme norme, les politiques publiques élargissent depuis un certain temps leur champ d’intervention par l’intégration de notions plus théoriques tel que le bien-être - individuel et quotidien. En filigrane, la prise en compte de ce type de filtres suppose évidemment des formes diverses de l’adaptabilité des espaces publics aux citadins les plus vulnérables.


De fait, l’accès aux services urbains de proximité doit autant s’appréhender du point de vue architectural que de celui de la mobilité. Si la loi de 2005 relative au handicap a rendu obligatoire l’aménagement de tous les bâtiments recevant du public à certaines règles d’accessibilité, ainsi que le développement de réseaux de transports en commun praticables pour les personnes à mobilité réduite (comprenant l’usage de fauteuils roulants, poussettes, déambulateurs, etc.), son application reste lente. En zones périurbaines ou rurales où l’automobile est reine, les personnes âgées sont souvent obligées de s’en remettre à la solidarité familiale, ou aux bonnes relations de voisinage, si elles refusent de rester enfermées chez elles comme dans un sarcophage...


L’impensé de la perte d’autonomie en urbanisme trouve ses soubassements dans les lettres de Simone de Beauvoir, qui (d)énonçait avec clairvoyance ce phénomène dès 1970[3] :

« par le sort qu’elle assigne à ses membres inactifs, la société se démasque ; elle les a toujours considérés comme du matériel. Elle avoue que pour elle seul le profit compte et que son “humanisme” est de pure façade ».


Le réseau international « Villes et communautés amies des aînés » impulsé par l’OMS en 2007, a permis de réaliser un audit au sein de villes volontaires pour renforcer la mixité intergénérationnelle et les liens de solidarité. Quatre priorités d’action ont ainsi pu émerger. En premier lieu : la nécessité d’une « acuponcture urbaine », en réalisant des micro-adaptations de l’espace public, notamment en matière de voirie (élargissement et réfection des trottoirs, revêtement anti-dérapant, réduction des obstacles, augmentation du temps de décompte aux passages piétons pour les PMR). Ensuite, l’accès aux services urbains par des dispositifs comme le portage de courses à domicile ou la mise en œuvre d’un réseau de transport à la demande. Faisant échos à ces préconisations, Faciligo se présente par exemple comme un réseau social qui facilite la mobilité pour tous, par la mise en relation de voyageurs à mobilité réduite (PMR) avec des voyageurs soucieux de prêter main forte... Ce service fonctionne dans tous les modes de transports, tant pour des petits déplacements que des longs voyages. L’objectif : permettre à tous de « voyager mieux et moins cher ». De la bienveillance pour bienvieillir, en somme ?









[1] Michel Kail, « Éditorial. La vieillesse ! Quelle vieillesse ? De l'intérêt du point de vue philosophique », L'Homme et la société 2012/1 (n° 183-184), p. 5-8. DOI 10.3917/lhs.183.0005

[2] Centre d’analyse stratégique, « Vieillissement et espace urbain. Comment la ville peut-elle accompagner le vieillissement en bonne santé des aînés ? », Questions sociales n°323, février 2013

[3] Simone de Beauvoir, La Vieillesse, Paris, Éditions Gallimard, 1970


bottom of page