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Déchets


Emballages plastiques, magazines en papiers glacés, liquide vaisselle éventré, poussières balayées, laitue flétrie et yaourts mis à mort par une DLC (date limite de consommation), nos décharges débordent d’objets en tout genre, qui pour certains sont inutiles et doivent être mis à l’écart le plus loin possible des centres urbains tandis que pour d’autres, ils sont leur gagne-pain.



Le terme de déchet trouve ses racines dans le latin médiéval du verbe decaderer signifiant tomber, déchoir. L’acception usuelle qui en est donnée renvoie à cette idée qu’une quantité de matière s’avère perdue suite à l’usage d’un produit. Loin de faire consensus, la définition du déchet nécessite de prendre en compte une pluralité de facteurs économiques, culturels, sociaux, et territoriaux.


Une première classification des déchets s’effectue selon leur origine selon qu’ils proviennent d’activités agricoles, industrielles ou de soins, ou s’ils sont produits par les collectivités. Une seconde typologie repose, en revanche, sur la nature et les caractéristiques des déchets (inertes, recyclables, dangereux, biodégradables).


Symptomatique des crises plurielles qui frappent nos sociétés contemporaines (crises écologique, économique, sociale, culturelle), notre aversion pour ce qui se trouve dans nos poubelles a contribué à transformer, en quelques années, notre planète Terre en une immense décharge à ciel ouvert. A la surface des océans, enfouis dans le sol ou dispersés dans l’atmosphère en particules volatiles, les déchets sont des stigmates indélébiles révélateurs tant de la turpitude que de l’ingéniosité des êtres humains.

Nos « Vies d’ordures » sont ainsi le reflet de nos manières d’habiter le monde. L’exposition éponyme actuellement au Mucem[1], scénographiant les enquêtes ethnographiques réalisées sur le pourtour de la Méditerranée sur cette question des déchets, nous fait découvrir des territoires, des technologies, des objets recyclés ou détournés, et nous rappelle avec humilité que derrière nos « restes », existe tout un monde d’échanges et de transferts qui fait vivre, dans des conditions bien souvent précaires, des milliers d’hommes et de femmes qui parcourent nos rues à la recherche de nos rebuts.


Waste side story


Bien qu’ayant toujours existés, les déchets n’ont pas toujours pâti d’une représentation négative et ont même été un marqueur social de prospérité. Jusqu’au 19ème siècle, les productions détritiques des villes étaient intégrées au métabolisme territorial et étaient notamment réutilisées comme engrais pour les activités agricoles en périurbain. Ainsi, l’odeur du fumier était-elle prisée pour sa capacité à communiquer sur la bonne situation du propriétaire foncier, désireux de se distinguer.


Terreau fertile pour l’imaginaire collectif, nombre d’écrivains se sont emparés de cet objet pour refléter l’état intime d’une société. A l’instar de la célèbre histoire du meurtrier Jean Baptiste Grenouille, qui poussa son premier cri au milieu des carcasses du marché au poisson, l’endroit le plus putride de Paris, la révolution olfactive qui s’est jouée au 18ème siècle a été déterminante dans l’élaboration des premières politiques d’hygiène et de salubrité publique. Dans Le Miasme et la Jonquille[2], Alain Corbin analyse ce changement de perception et revient sur les résistances rencontrées pour l’entreprise de désodorisation des villes à l’heure où les découvertes pasteuriennes viennent légitimer l’éloignement et l’élimination des déchets.


Ainsi, la révolution industrielle aurait sonné le glas des systèmes d’échanges et de récupérations qui faisaient vivre des petites professions. L’apparition de nouvelles pollutions liées aux activités industrielles ainsi qu’à la croissance urbaine et démographique provoquent des désastres sanitaires qui pousseront le Préfet Eugène Poubelle à prendre l’arrêté daté du 24 novembre 1883 obligeant les parisiens à jeter leurs ordures ménagères dans des récipients prévus à cet effet. Cet arrêté, se heurtant dans un premier temps à l’hostilité des parisiens, réussit à généraliser la pratique du ramassage régulier assurée par la municipalité, et la domestication des ordures ménagères. Cet acte préfigure la rupture entre deux entendements du monde, l’un où le déchet s’inscrit dans une économie circulaire et l’autre dans un processus linéaire. Rémouleurs, réparateurs de faïence, raccommodeur d’âme, chaudronnier au sifflet, rempailleur de chaise et chiffonniers, sont voués à n’être que des fantômes des opérettes de rues passées.


Au début du 20ème siècle, c’est donc aux collectivités que revient la prise en charge des décharges, avec la mise en œuvre de dispositifs techniques de collecte et de traitement le plus loin possible des espaces habités. Paris est l’une des premières villes à expérimenter la collecte sélective, en triant les matières putrescibles du verre, de la faïence, des chiffons et papiers ainsi que des coquilles de crustacés.


En creux d’une prise de conscience des enjeux écologiques encore embryonnaires et la nécessité d’intervenir pour lutter contre l’épuisement des ressources naturelles, un arsenal réglementaire et législatif est déployé à l’orée des années 70, aussi bien à l’échelle internationale, qu’européenne et nationale. Suite à la conférence de Stockholm en 1972, un Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) est élaboré pour lutter contre la pollution. La même année la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets est adoptée afin de mettre fin au syndrome du « tout à la mer », ayant conduit à considérer l’espace océanique comme un dépotoir.


En France, il faudra attendre la loi du 15 juillet 1975 qui fait de la gestion contrôlée des déchets, une politique publique à part entière en donnant une définition juridique des déchets et en énonçant la responsabilité des producteurs de déchets dans la gestion de ces derniers. Le Code de l’environnement opère ainsi une distinction entre le déchet et le déchet ultime[3]. Le premier est considéré comme « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement, tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon », alors que le second se conçoit lorsqu’il « n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux. »


Les années 2010 incarnent une prise de conscience collective de l’impérieuse nécessité de réduire, recycler et réutiliser les produits jetés. Suite aux cinq engagements pris lors du Grenelle de l’Environnement, qui insistent sur la nécessité de réduire la production, de favoriser le recyclage des déchets valorisables, de valoriser les déchets organiques, de limiter les quantités incinérées ou stockées et de gérer les déchets du BTP, de nombreuses collectivités vont expérimenter des dispositifs agissant directement auprès des particuliers. A titre d’exemple, la communauté d’agglomération de Besançon a opté pour une tarification incitative au poids. Concrètement, les poubelles des foyers, grâce à une puce électronique, calculent le poids des déchets, qui est alors répercuté sur le montant de la facture de chaque habitant. Après évaluation sur une année, cette mesure a permis de réduire de 30% la quantité d’ordures ménagères résiduelles.


La loi du 7 aout 2015 relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) est venue réorganiser la répartition des compétences en matière de gestion des déchets entre les collectivités territoriales. Les communes et EPCI ont désormais de plein droits la responsabilité de collecter et traiter les déchets ménagers et assimilés, et les régions sont compétentes dans l’élaboration d’un Plan régional de prévention et de gestion des déchets se substituant au Plan régional de prévention et gestion des déchets dangereux, au Plan départemental des déchets non dangereux et au Plan départemental des déchets issus des chantiers[4].


Une pléthore d’acteurs publics et privés s’est au fil des dernières années spécialisée dans la collecte, le traitement et la sensibilisation à ces enjeux environnementaux. Dans le cadre de délégation de service public, des entreprises assurent ainsi la récupération et la transformation de matériaux issus du tri sélectif comme le verre, l’aluminium, ou le plastique. Des éco-organismes agréés par l’Etat ont également fait leur apparition afin d’assurer la collecte et le traitement des déchets produits par les fabricants, et ainsi faire appliquer la responsabilité élargie des producteurs. Par ailleurs, nombre de fédérations et associations se sont emparées des enjeux liés au recyclage et à la revalorisation des déchets au cours des dernières années et mènent des actions de sensibilisation pour promouvoir la transition écologique[5].


Selon les chiffres de l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (ADEME)[6], 345 millions de tonnes de déchets ont été produits en France au cours de l’année 2012, 17 millions de tonnes de matériaux ont été recyclés, 14,4 millions de tonnes de déchets dangereux et non minéraux ont été incinérés avec récupération d’énergie, 18 millions de tonnes de déchets ont été envoyés dans des installations de stockage et plus de 16 milliards d’euros ont été dépensés dans la gestion des déchets rien que pour l’année 2013.


Les dispositifs de tri sélectif, l’expérimentation de consignes ou la mise en œuvre de tarification incitative peinent à démontrer leur efficacité. La technicité des moyens mis en œuvre pour lutter contre le gaspillage et réduire les déchets à contribuer à éloigner les citoyens de ces enjeux communs d’économie d’énergie et de réduction des gaz à effets de serre, trop abstraits et déconnectés de la réalité des gestes simples du quotidien.


Dis-moi comment tu tries, je te dirai qui tu es


Limiter les emballages, acheter en vrac, éviter le gaspillage alimentaire, réduire la consommation de papier, composter les déchets biodégradables, réparer des objets ou revendre des vêtements inutilisés...Ces commandements proférés par les pontifs de la transition, ont été ces derniers mois largement médiatisés, avec l’émergence des mouvements freegan et zéro déchets, qui tentent de faire changer les pratiques et les mentalités.


Freegan Pony est une cantine participative situé après le périphérique parisien dont les plats sont préparés à partir des invendus des marchés.

Zero Waste France est une association de protection de l'environnement fondée il y a 20 ans qui milite pour la réduction et une gestion plus durable des déchets.


Cependant, malgré les intentions louables de ces derniers, la représentation négative des déchets semble persister et le changement peine à dépasser le discours pour s’ancrer dans des actions significatives. Les déchets sont une construction socio-culturelle qui n’a cessé d’évoluer au gré des progrès techniques, ayant été de prime abord appréhendés comme fertilisant, puis comme source d’infections que l’on résout un temps en procédant à son l'élimination, et puis par l'incinération dont on nous vanta les opportunités de valorisation énergétique, et le recyclage ayant fait la part belle des éco-organismes aux tendances néo-libérales. Il serait illusoire de croire que seul ce qui est source de profit est utile. La technicisation à outrance, le culte de l’utilité sous couvert d’une valeur marchande et l’obsession de posséder ont conduit à dessécher les esprits des citoyens à qui l’on somme d’exécuter des actions dépourvues de sens. La politique de gestion des déchets menée au cours du 20ème siècle a conduit à déresponsabiliser les citoyens, alors même que sa réussite dépend de la participation de ces derniers.

[1] http://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/vies-dordures

[2] Alain Corbin, Le Miasme et la Jonquille. L'odorat et l'imaginaire social, Flammarion, Paris, 1982

[3] https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/dechet_ultime.php4

[4] https://www.zerowastefrance.org/fr/articles/199-loi-notre

[5] https://www.actu-environnement.com/ae/dossiers/dechets/metiers_dechets.php4

[6] http://www.ademe.fr/expertises/dechets

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